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Qu’est-ce que la matière organique du sol ?

Agronomie
19.6.2024
Alex
Alex
Cultures agricoles en vue aérienne

Qu’appelle-t-on la matière organique ?

La matière organique (MO), comprend « toutes les substances organiques particulaires et moléculaires contenues dans le sol ».Autrement dit,

il s’agit de tous les constituants organiques non vivants du sol(Aubert, Boulaine, 1980).

Les résidus végétaux font partie de la matière organique du sol quand ils lui sont incorporés mécaniquement, soit par l’action de la faune et de la microfaune pour les litières, soit par les travaux du sol pour les sols cultivés» (Calvet et al., 2023). Elle est indispensable au bon développement de l’appareil végétal et se concentre sur l’horizon superficiel (0-20 cm).

Pour calculer le taux de matière organique, on se sert de la mesure du carbone organique auquel on applique un coefficient comme suit :

         

                                                                                                           %MO= %Corganique x1,724

 Figure 1 : schéma général de la formation de la matière organique (source Chambre d’agriculture région Alsace, 2015)          

Nous pouvons distinguer trois matières organiques ayant chacune d’elles des rôles différents (figure 1) :

- La matière organique vivante (MOV). Elle est constituée de racines de micro-organismes, des vers. Elle est nécessaire pour le brassage et la transformation des résidus des matières organiques fraîches.

- Les matières organiques fraîches sont des résidus de végétaux, déjections animales, cadavres de microorganismes. Elle est nécessaire à la fertilité chimique du sol. Elle forme la fraction organique du sol.

- La matière organique stable provient de l’évolution des deux autres types de MO, c’est elle qui assure la création du complexe argilo-humique (Chambre agriculture Occitanie, 2011).

La formation de la matière organique fraiche

Les molécules complexes de la matière organique fraîche subissent d'abord une décomposition microbienne. Dans un gramme de sol, il y a entre 100 millions et 10 milliards de bactéries et entre 500 000 et un million de champignons. C’est une transformation qui libère des composés simples solubles ou gazeux (NH4+,SO42+, Ca2+, CO2) que l'on appelle minéralisation primaire. La transformation est assez rapide dans les milieux biologiquement actifs. Inversement, certains de ces composés peuvent être réorganisés au cours de l'humification.

À ce stade, les éléments solubles restants peuvent être assimilés par les plantes.

Une autre partie des produits de la décomposition microbienne sert de matériaux à l'édification de molécules nouvelles, de plus en plus complexes, de nature colloïdale et de couleur foncée : c'est l'humification. Ces composés humiques contractent des liens plus ou moins étroits avec les composés minéraux (argile et oxyde). Ils se minéralisent à leur tour, mais plus lentement que la matière organique fraîche, c'est la minéralisation secondaire (figure 1 et 2) (Duchaufour et al., 1970).

Figure 2 : schéma de l'humification (source : Shouby, 2010)
Le complexe argilo-Humique

La structure d’un sol est faite en partie par le complexe argilo-humique. Dans ce complexe, l’humus sert de protection à l’argile car elle retient l’eau et empêche sa dispersion. L’argile a pour rôle de protéger l’humus de l’action de microorganismes et ralentit sa minéralisation. Ce complexe est sous forme colloïdale où humus et argiles sont liés entre eux par des cations (figure 3).  Les cations n’ont pas tous le même pouvoir floculant[1].Ainsi le Ca2+ est le cation le plus floculant. Ce cation forme des ponts calciques très utiles pour une bonne macroporosité[2]

des sols (Chambre agriculture Occitanie, 2011)

Figure 3 : schéma du complexe argilo-humique (source : agronomie.info, 2018)

                                                                                          

La matière organique en agriculture

Toutes les cultures n’ont pas les mêmes besoins de taux de matière organique. A titre d’exemple, dans une vigne on retrouve un taux aux alentours des 1% (±1%), tandis que dans une parcelle de maraîchage ce taux est trois fois plus élevé.

De plus dans le sol d'une vigne et d'une parcelle maraichère, le rapport C/N ne sera pas le même. Le carbone organique à un rôle structurant pour le sol, l’azote est lui un élément nutritif pour la plante sous sa forme ionique. Dans une vigne, nous aurons tendance à trouver un rapport plus élevé (>10). Cela signifie qu'il y a plus de carbone que d'azote dans MO. La vigne étant une culture pérenne, les besoins en azote sont plus faibles, la décomposition de l'azote y est plus lente.

Le culture annuelle a plus de besoins d'azotés pour assurer le bon développement du végétal. Le rapport C/N de son sol y est plus faible (>10), témoignant d'une décomposition rapide.

Ce rapport est également est pris en compte lors d'apports de fertilisants. Un sol ayant besoin de carbone organique ne nécessitera pas le même fertilisant qu'un sol nécessitant de l'azote (Figure 4).

Figure 4 : Le rapport C/N de différents engrais (source : terra-potager, 2022)

La matière organique joue un grand rôle dans la fertilité du sol. Elle assure la mise à disposition pour la plante par minéralisation, ainsi que le stockage, des éléments nutritifs. Elle favorise l’activité biologique et microbiologique, car elle est également source d’énergie et d’éléments nutritifs pour les organismes du sol. Enfin, elle est un élément important du pouvoir de rétention en eau des sols. Il y a de nombreuses interactions complexes entre le sol, la MO et la plante (figure 5).

Figure 5 : Les rôles de la matière Organique (source : Marsden Claire, 2018)

La matière organique, élément indispensable et sensible…

La matière organique est très sensible au milieu. De nombreux facteurs, que ce soit anthropiques ou environnementaux, expliquent des changements pouvant être irréversibles (Groupement d’intérêt scientifique sur les sols, 2011).

Le rôle de la MO dans l'agriculture est primordial. Elle est partie intégrante de la gestion de la ressource en eau. (Ugarte et al., 2018). Elle devrait être intégrée dans les réflexions à échelle globale, ce qui n’est pas toujours le cas.

Le échauffement climatique engendre la baisse du taux de MO dans les sols. La clé pour créer de la matière organique est l’eau ; elle est nécessaire à toute activité de décomposition et de minéralisation. De plus, les organismes responsables de la dégradation et de la minéralisation ont des optimums detempérature (≈10° C). Lors des épisodes caniculaires, les sols atteignent des températures extrêmes, empêchant toute activité de minéralisation (Pedro R Soares et al., 2023).

La raréfaction des précipitations provoque sur le pourtour méditerranéen, ce phénomène d’aridification, où l’activité biologique est de plus en plus faible. Cela met en péril l’activité biologique des sols.

Il a été démontré que l’irrigation favorise une augmentation de la minéralisation ainsi que de l’activité biologique des sols (Dal Ferro et al., 2023). La gestion de l’eau ne se limite pas uniquement à restreindre son usage. Lors de canicules, l’arrêt de l’irrigation en plus d’augmenter la sécheresse des sols augmentera la chute de la qualité des sols. Cela entrainera des conséquences environnementales, agronomiques, et économiques.

Les bénéfices de la matière organique sur notre planète et les difficultés à la préserver

Les bénéfices

Elle est source de fertilité, de nutriment et a pour vocation d'assurer le bon développement du végétal. Elle permet la rétention en eau du sol, de séquestrer du carbone. Son équilibre en demeure aussi important et fragile que son existence.

La séquestration de carbone est l’un des enjeux environnementaux de la lutte contre le réchauffement climatique. La matière organique est le principal vecteur de cette séquestration. Il y a deux processus impliqués dans la séquestration : celui d’absorption du CO2  atmosphérique par les plantes et celui de stockage du carbone dans la matière organique du sol. En effet, une plante absorbe du carbone via la photosynthèse. Lorsqu’elle se décompose dans le sol, elle lui restitue son carbone sous forme de matière organique. Comme vu précédemment, ces résidus sont minéralisés.

À la suite de cette minéralisation, la matière minérale est ensuite relâchée dans l’atmosphère. Toute matière organique étant vouée à être minéralisée, le stockage permanent du carbone organique dans les sols est donc empêché. La durée de stockage, en moyenne, n’excède pas quelques décennies (carbonefarmers, 2023).

Les difficultés

La fertilité des sols se dégrade fortement. Le taux de matière organique ne déroge pas à cette chute. Ceci est aussi bien valable sur le sol français qu’européen, comme le montre la figure 6. Les principales régions agricoles sont touchées par ce phénomène. En plus de l’effet climatique évoqué précédemment, les pratiques anthropiques et notamment agronomiques contribuent aux difficultés du maintien de ce taux.

L’agriculture de ces 70 dernières années s’est uniquement basée sur les besoins nutritifs primaires directement assimilables et nécessaires pour la plante, à savoir l’azote, le phosphore et le potassium (fertilisation N, P, K). Le paradigmes ’intéressait aux besoins uniques de la planète afin d’assurer un rendement . Ce modèle a grandement appauvri l’état organique des sols.

Figure 6 : cartographie de la balance en nutriments du sol à l'échelle européenne (source : Prăvălie et al., 2024)

Le changement de paradigme commence à s’opérer. Les agriculteurs et professionnels de la profession tendent non plus à réfléchir par rapport au besoin de la plante, mais en termes de besoin du sol. Pour cela, il va falloir s’armer pour de meilleures analyses et une meilleure compréhension de son sol. La mesure d’un taux de matière organique devient limite, il va falloir s’intéresser à la vie du sol, à son état de santé, avoir des pratiques agronomiques plus régénératrices.

Conclusion 

La matière organique est un élément pivot dans la fertilité du sol, la séquestration du carbone et le cycle des nutriments. Elle structure le sol et assure son pouvoir de rétention en eau. La compréhension de ses différents composants, la matière organique vivante, fraîche et stable ainsi que des processus de décomposition et d'humification, est essentielle pour une gestion durable des sols.

Les défis liés au changement climatique et aux pratiques agricoles intensives rendent la préservation de cette précieuse ressource plus cruciale que jamais. Il est impératif d'adopter des stratégies agricoles régénératives et des pratiques de gestion de l'eau adaptées pour maintenir et améliorer les niveaux de matière organique dans le sol.

L'avenir de 'agriculture et de la gestion des sols pourrait être transformé par l 'intégration de technologies innovantes, de pratiques écologiques avancées, et d'une politique globale concertée visant à restaurer et protéger les sols. L’acquisition de données massives, leur analyse et une vision en temps réel seront indispensables.

[1] Pouvoir physico-chimique par laquelle des molécules en suspension peuvent s’agglomérer créant des flocons.

[2] La macroporosité favorise l'aération des sols et la fourniture d'oxygène aux organismes vivants du sol, la microporosité constitue un réservoir d'eau et d'échanges de nutriments pour ces organismes.

Références bibliographiques :

AGRONOMIE.INFO, 2018. Le complexe argilo-humique (CAH) - Agronomie. [en ligne]. 2018. Disponible à l’adresse : https://agronomie.info/fr/complexe-argilo-humique-cah/

AUBERT, Georges (1913-2006; pédologue). et BOULAINE, Jean-Louis-Georges (1922-2012)., 1980. Chapitre premier. La notion de sol. In : Que sais-je? [en ligne]. Presses Universitaires de France. pp. 5‑20. ISBN 9782130694465. Disponible à l’adresse : https://www.cairn.info/la-pedologie--9782130694465-page-5.htm?contenu=article

CALVET, Raoul, CHENU, Claire et HOUOT, Sabine, 2023. Les matières organiques des sols. ISBN 978-2-85557-744-9.

CARBONEFARMERS, 2023. Le sol : un acteur clé de la séquestration carbone - Carbone Farmers. [en ligne]. 18 septembre 2023. Disponible à l’adresse : https://www.carbonefarmers.com/le-sol-un-acteur-cle-de-la-sequestration-carbone/

CHAMBRE AGRICULTURE OCCITANIE, 2011. Les matières organiques du sol Chapitre 2. 2011.

CHAMBRE D’AGRICULTURE RÉGION ALSACE, 2015. Les matières organiques. 2015.

DAL FERRO, N., STEVENSON, B., MORARI, F. et MÜLLER, K., 2023. Long-term tillage and irrigation effects on aggregation and soil organic carbon stabilization mechanisms. Geoderma. 1 avril 2023. Vol. 432, pp. 116398. DOI 10.1016/J.GEODERMA.2023.116398.  

DUCHAUFOUR, P., BONNEAU, M., JACQUIN, F. et SOUCHIER, B., 1970. Précis de pédologie. Paris, 3e ed : Masson.

GROUPEMENT D’INTÉRÊT SCIENTIFIQUE SUR LES SOLS, 2011. L’état des sols de France [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://www.gissol.fr/rapports/Rapport_HD.pdf

MARSDEN CLAIRE, 2018. Importance de la Matière Organique du Sol. [en ligne]. 2018. Disponible à l’adresse : https://www.supagro.fr/ress-pepites/processusecologiques/co/ImportanceMOS.html  

PEDRO R SOARES, MATTHEW T HARRISON, ZAHRA KALANTARI, WENWU ZHAO et CARLA S S FERREIRA, 2023. TOPICAL REVIEW;

Drought effects on soil organic carbon under different agricultural systems. [en ligne]. 2023.  DOI 10.1088/2515-7620/ad04f5. Disponible à l’adresse : https://doi.org/10.1088/2515-7620/ad04f5

PRĂVĂLIE, Remus, BORRELLI, Pasquale, PANAGOS, Panos, BALLABIO, Cristiano, LUGATO, Emanuele, CHAPPELL, Adrian, MIGUEZ-MACHO, Gonzalo, MAGGI, Federico, PENG, Jian, NICULIȚĂ, Mihai, ROȘCA, Bogdan, PATRICHE, Cristian, DUMITRAȘCU, Monica, BANDOC, Georgeta, NITA, Ion Andrei et BIRSAN, Marius Victor, 2024. A unifying modelling of multiple land degradation pathways in Europe. Nature Communications 2024 15:1 [en ligne]. 8 mai 2024. Vol. 15, n° 1, pp. 1‑13. DOI 10.1038/s41467-024-48252-x. Disponible à l’adresse : https://www.nature.com/articles/s41467-024-48252-x  

SHOUBY, 2010. Humus: de quoi s’agit-il? . 2010. Disponible à l’adresse : https://www.shouby.fr/index.php?post/2010/06/28/Humus%3A-a-quoi-sa-sert

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UGARTE, C. M., KWON, H. et WANDER, M. M., 2018. Conservation management and ecosystem services in midwestern United States agricultural systems. Journal of Soil and Water Conservation [en ligne]. 1 juillet 2018. Vol. 73, n° 4, pp. 422‑433. DOI 10.2489/JSWC.73.4.422. Disponible à l’adresse : https://www.jswconline.org/content/73/4/422

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